La collaboration totale, il connaissait, puisqu’il s’était enrôlé dans la Waffen SS dans les années 1940, ce qui lui avait valu d’être condamné à la Libération. Dans les années 1980, il allait prêter allégeance à un autre régime totalitaire : « Je serai alors le premier à mettre une étoile rouge sur ma casquette. L’Europe soviétique, oui sans réticence ».
Les rêves de Thiriart ne se sont jamais concrétisés, mais l’homme a des disciples prêts à collaborer avec le régime autoritaire de Vladimir Poutine qui, selon eux, veut aussi « faire l’Europe européenne ». Ce sont des militants et politiciens d’extrême droite qui voient dans la Russie de Poutine « un bastion des valeurs traditionnelles » et une « lueur d’espoir » dans leur combat contre le libéralisme et l’Europe unie.
Calcul cynique
Le régime de Poutine, de son côté, se sert de ses alliés d’extrême droite pour affaiblir l’Union européenne (UE) et fragiliser la paix sociale dans les sociétés européennes. Poutine sait parfaitement que mouvements nationalistes sont un danger pour la cohésion sociale et politique des Etats – son régime réprime du reste non seulement l’opposition démocratique, mais aussi les mouvements ultranationalistes déloyaux à l’égard du pouvoir. Cela paraîtra peut-être surprenant à ses alliés européens d’extrême droite mais Poutine a conseillé aux nationalistes russes de « se souvenir que la Russie s’est formée dès le départ comme un Etat multiethnique et multiconfessionnel », et affirmé que le nationalisme détruit le « code génétique » russe.
Cela n’empêche pas Moscou d’apporter un soutien politique, médiatique et parfois même financier à des partis ultranationalistes, en faisant le calcul cynique que s’ils accédaient au pouvoir dans tel ou tel pays d’Europe, cela mettrait en péril l’unité européenne et rendrait de ce fait l’Etat plus vulnérable aux pratiques corrompues des oligarques russes, ce qui aggraverait les inégalités sociales et affaiblirait la position de l’Europe face à des grandes puissances telles que les Etats-Unis, la Chine et l’Inde.
Un prêt de plusieurs millions d’euros
En décembre 2016, le FPÖ a signé un accord de coordination et de coopération avec le parti Russie unie de Poutine. La Ligue du Nord en a fait autant en mars. Marine Le Pen s’est rendue à Moscou à plusieurs reprises depuis 2013 et son parti, le Front national, a obtenu un prêt de plusieurs millions d’euros auprès de la First Czech-Russian Bank, un établissement bancaire contrôlé par un homme d’affaires proche du Kremlin.
Marine Le Pen a beau affirmer dans son clip de campagne vouloir « que les Français puissent vivre libres dans une France indépendante », ses orientations en matière de politique étrangère indiquent qu’elle n’hésiterait pas, comme Thiriart avant elle, à rendre la France dépendante de la Russie.
Depuis 2013, il est clair que sa vision des relations internationales, notamment en ce qui concerne la Russie, s’inspire des positions du Kremlin. Par exemple, en juin 2013, lors de son déplacement dans la ville ukrainienne de Sébastopol – qui n’avait pas encore été annexée par la Russie à l’époque – Le Pen s’était prononcée en faveur de l’accord d’association Ukraine-UE.
Perroquet
Mais, après son premier voyage à Moscou le même mois, elle dénonçait le rapprochement de l’Ukraine avec l’UE et votait contre l’accord d’association au Parlement européen. Depuis que Marine Le Pen rencontre régulièrement des officiels russes, aucune de ses déclarations sur la Russie ne contredit la ligne du Kremlin, qu’il s’agisse de la répression de l’opposition démocratique russe, de l’invasion de l’Ukraine ou du soutien par Moscou apporté au régime meurtrier de Bachar Al-Assad.
Non pas qu’en se faisant le perroquet de la désinformation de Moscou, Le Pen rembourse sa dette au Kremlin ; si elle relaye le discours de Moscou, c’est qu’elle espère continuer à bénéficier d’une aide financière des Russes. Dès lors, non seulement Le Pen n’a pas de vision personnelle des relations internationales mais elle n’a pas non plus d’estime de soi. Elle avait déjà cherché à rencontrer une personnalité russe haut placée en 2011, mais personne n’avait souhaité l’inviter à Moscou, parce que le Kremlin attendait de connaître le résultat de l’élection présidentielle de 2012 en France.
Les autorités russes aspiraient à entretenir de bonnes relations avec le président élu, que ce soit François Hollande ou Nicolas Sarkozy – relations qui auraient pu être mises à mal si le Kremlin avait invité Le Pen et lui avait témoigné de son soutien avant la présidentielle. Ce n’est qu’après que le président Hollande eut reproché à Poutine, en juin 2012, de soutenir Assad que le Kremlin a décidé de durcir le ton avec la France et de nouer des relations avec le Front national dans le but de fragiliser la paix sociale dans le pays.
Une solution de repli
En 2016, Marine Le Pen est devenue une solution de repli pour le Kremlin. C’est la raison pour laquelle le Front national n’a pas réussi à obtenir un nouveau prêt d’une banque russe cette année-là (la First Czech-russe Bank a été déclarée en faillite en 2016). Cela explique aussi ses déboires avec l’Agence russe de garantie des dépôts qui est chargée de recouvrer les créances de la banque en faillite et menaçait d’entamer une procédure judiciaire contre le Front national pour obtenir le remboursement de son emprunt. L’Agence de garantie des dépôts étant une autorité administrative, on conçoit mal que sa décision n’ait pas été validée par le pouvoir.
Si le Front national est devenu une solution de repli pour le Kremlin, c’est que Moscou attendait de voir comment aller évoluer la situation politique en France. A l’issue de la primaire de la droite, il a décidé de jouer la carte François Fillon, connu pour sa position conciliante à l’égard des politiques intérieure et étrangère de la Russie, plutôt que Le Pen.
Ce n’est qu’une fois que Fillon a commencé à voir sa popularité entamée par le « Penelopegate » que le Kremlin s’est à nouveau tourné vers Le Pen et l’a même invitée à Moscou pour montrer qu’elle était le candidat préféré de Poutine pour la présidentielle.
Après l’ingérence manifeste de Moscou dans l’élection présidentielle américaine l’an dernier, les sociétés européennes sont devenues plus vigilantes face aux tentatives du Kremlin pour infléchir les processus électoraux dans les pays occidentaux. La France ne fait pas exception.
Cet article a été publié à l'origine dans Le Monde.
Traduit de l’anglais par Juliette Kopecka.
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